Cantate pour une joie

Recueil complet

Cantate pour une joie

Recueil de poèmes

Gabriel Charpentier (1925-2019)


Entrons dans la ville

Clown, enfant, homme

Pierrot sans lune

Et sans logique, oh! sans logique


Lion, lion, jeune lion

En labyrinthe enfermé

Suis mot, lumière, musique

Contre guerre, contre enfer

L'enfer est de ne pas aimer


J'aime

Tu m'aimes

Il aime

Nous nous aimons

Vous vous aimez

Ils s'aiment

Nous nous conjuguons


Ville

Nous sommes la ville

Toi, moi

Rues de la ville

Nous sommes villes

Enlevons nos masques, 

Un moment


J'aime

Et veux aimer

Soyons de charité

De charité, madame, mademoiselle, monsieur

De charité

Soyons de joie


Et toi, toi, toi, mes amis

Soyons de joie

La joie de quoi?

Qu'est-ce que la joie?

La joie…


Entrons dans cette ville,

Dans cette ville, là


Les lions jaunes

Les lions jaunes hurlent dans le sable

L'épouvante est dans la ville 

Et les ténèbres entourent ma demeure

Tout le monde a peur

Le feu gagne la montagne haute

Ah! Qu'ils périssent les hommes et les femmes

Ah! Qu'ils meurent les oiseaux et les fleurs


Fermez les yeux, vos grands yeux blancs

Sauvez vos plus belles céramiques


Les jeunes hommes sont morts 

Et les petites filles pleurent des paroles d'autrui


Tout est perdu et la vengeance est inutile

L'indignation est prise au piège


L'âme de ton serviteur, Seigneur, est moulue

Je crie vers Toi pour Ta compassion


Tout le monde a peur

Et le feu monte au-dessus

L'épouvante est dans la ville

Le jeune lion hurle dans le sable


La ville abandonné

La ville abandonnée par les oiseaux

C'est mon cœur tout seul à l'envers

Il rôde des démons en marche dans la bouche

Plein la bouche comme du feu de ses yeux

Au coin de la rue sous ton manteau

Ange blessé d'amour, égaré


Il n'y a pas à pleurer les musiques mortes

Ni mon pas tout seul qui marche pour l'amour

Il n'y a pas d'amour

Et seul suis tout seul cette soirée ce matin tout seul

Sans feu dans mes yeux et sans baiser sur ma bouche


Psaume

Le dégoût des choses parfumées et faciles

Entraîne la tempête qui devait arriver.

Une étoile s'est allumée dans le ciel noir

Et je serai guidé jusqu'à la joie.

Mon abri, depuis toujours solitaire, 

Est maintenant peuplé pour la première fois!


J'entends sa respiration tout près de moi 

Et je suis soulagé.

Une main tendue où je peux tendre ma main

Dans une confiance souriante.

C'est un concert étrange,

Où la musique n'existe plus.


Je marche durement sur les pierres de la route 

Je tombe et m'ensanglante les genoux.


Ne m'abandonne pas mon ami de tous les jours

Je me perdrais tout seul !

Et soudain, dans la nuit où j'ai pleuré longtemps 

À cause des hommes, mes frères.

Il est là, soudain, dans la nuit, tout près de moi

Pour me conduire vers la lumière.


Mort

Tu m'appelles et me couvres de plis

Tu me langes, tu me glaces d'acier

Tu m'injuries, tu m'aspires

Tu me défigures et m'expires


Attends

Laisse mon front à son front attaché

Laisse mon œil en son œil se noyer

Laisse ma main en sa main se calmer

Laisse Virgile à mon bras attaché


Mort, attends, attends

Laisse Virgile silencieusement reluire

Laisse Virgile lentement reconstruire

Laisse Virgile doucement me conduire

Car Minotaure en labyrinthe soupire


Mort, attends

Regarde-moi, nu, sur ma laine choisie

Regarde-moi, nu, sur les charbons ardents

Ose, regarde-moi en délire d'alcool

Regarde-moi, nu en angoisse de nuit


Mort, attends, oh! attends

Je veux t'arriver, pur, tout de joie

Tout de vie, tout d'enfant, tout d'homme

Je veux t'arriver, beau, tout de neige

Miracle de paix, larme de grâce


Attends-moi


Ils ont détruit la ville

Ils ont détruit la ville

Dans l'eau les pierres les rats

Les hommes les femmes

Dans le feu les rires


Les danses normandes

Autour du feu une ronde, une sarabande 

Cris et rires gutturaux, bottés de cuir


Les rues vieilles, les vieilles maisons, les vieilles

Pierre par pierre rats et souris

À l'eau les hommes pauvres

Et les femmes enceintes

Dans l'eau grise

Les pierres grises et la fumée


Vous verrez bien un enfant 

Qui pleure son chien mort à côté de lu


Grave et lourd

Grave et lourd

Unique univers

Œil de la nuit


Grave et lourd

Arbre tordu

Brûlant de froid

Renversé perdu

Illisible éclair

Enfant glacé

Ligoté en luxure


Tu pourriras

Honni hautement

Rejeté par vieillards

Ricané par amis

Pointé par plaisirs

Esseulé des années

Sucé piétiné

Trépané par idées

Ivrogné de désirs

Rejeté relaps

Égaré

De lui en son lointain fermé

Et de ses yeux de nuit

Jamais jamais jamais n'aurai

Un regard de lui


Complainte

En mon âme triste 

Ma ville se meurt

Que ne suis-je déporté 

Dans une fondrière

Où je serais donné 

À mes amis partis


Hélas je ne suis 

Je ne suis qu'en désirance

Et me retrouve clown 

Ou pierrot sans lune

Ni lumière tout le jour

Et pauvre âme toujours


Que vienne la nuit

Où je serai gisant 

Sans bruit

Dans une ornière 

En partance interdite

Ah! Que vienne la joie


Homme secret de la nuit

Homme secret de la nuit

Cœur ouvert, œil embrasé

Fleuve de nos larmes

Parole de nos patiences

Déluge de nos larmes

Chant de nos patiences


Homme secret de la nuit

Cœur ouvert, œil embrasé

Œil où je me pose

Soleil où je me mire

Âme où je me loge

Cloître où je me fixe


Homme secret de la nuit

Cœur ouvert, œil embrasé

Tu déchires la nuit

Tu chavires le froid

Tu partages la nuit

Tu calcines le froid


Homme secret de la nuit

Cœur ouvert, œil embrasé

Calme l'univers

Ouvre l'univers

Invente l'univers

Tout l'univers, et gicle


Homme secret de la nuit

Cœur ouvert, œil embrasé

Si beau que le jour

Si beau que la nuit

Si beau que le jour

Enfant de la nuit


Pierrot noir

Pierrot noir arlequin jaune

À la guitare danse sur tapis blanc

Comme visage de Pierrot noir

Sur tapis rouge aux manches larges

Remplies de vent tête penchée


Sur des yeux tristes un sourire

Au-dessus d'un tréteau l'entrechat 

D'arlequin voleur à la guitare

De la danseuse suspendue sans titre

Clavecin clochette sèche et dure


Comme rue la nuit où Pierrot 

Traîne sa manche noire échappe 

La guitare d'Arlequin le jaune

Et casse une corde qui sonne


Peine et misère perdue

Peine et misère perdue

À fendre l'âme, désespéré

Rendu hors d'haleine

Bar enfermé cri


Escalier sans fin ni recommencement

Tout recommence toute minute


Oh! vienne la lumière

Le calme éperdu et la main

J'embrasse cette main

Toute la nuit enfermée

Recroquevillée perdue

Est venu le jour clair


Cet œil bleu où je me plonge

Et ma main du fond de l'eau

Mon visage ouvert

Mon âme remplie dedans ma main

Enfermée tout la nuit dans ma main

Dans ma main perdue


Et quand vient le jour

Est venu le jour le jour clair

Et cette tête dans ma main

Et cette poitrine de soleil

Et cette main sur ma tête

Oh! cette main sur ma tête

Cette main où je me perds

Est venu le jour est venu le jour


Chorale

Marche toutes les voies

Mon âme misérable 

Abandonne la mort 

Des songes trop heureux


Il a crié si loin des ombres malheureuses

Et son corps purifié par les brumes souterraines

S'est envolé si lentement

Au-dessus des mirages


Ange oiseau vert hurle

Ange oiseau vert hurle

La vérité à la face

Abats la nuit le jour

Le songe la farce va

Creuse le vin le mal

L'œil le sexe va va

Dépasse l'orgie la feinte

La peur de la mort va

Interroge regarde découvre

Aime aime aime

Envole-toi dépars

Deviens léger feuille neige

Arc-en-ciel de soleils

Déploie les ailes file vire

Tourne vrille rose rouge

L'espérance


Le cri de joie

Le cri de joie est sorti de ma bouche

Tout le monde danse sur les places

Et les colonnes chavirent

Le cri de joie est en avant de moi

Je le prends avec moi

Il m'illumine de lumière

Et ses commandements sont près de moi

Le jeune homme est parti par-dessus la mer

Emportant avec lui des gerbes de glaïeuls

Et son cri est allégresse


Une histoire bien ordinaire

Au fond

C'est l'histoire de vous, de lui, de moi,

Une histoire bien ordinaire.